« LE CROISEMENT TROIS VOIES POUR DOPER LA RUSTICITÉ »
Anne et Serge Hellot ont décidé il y a dix ans de croiser leurs vaches prim'holsteins les plus fragiles avec des races plus résistantes. Ils entament le troisième croisement.
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LES DEUX PREMIÈRES “F2” DE FRANCE issues d'un croisement trois voies viennent d'entamer leur première lactation dans notre élevage et trois génisses “F2” vont vêler à la fin de l'été », présentent, non sans une certaine fierté, Anne et Serge Hellot, en Gaec avec leur fille Gaëlle et leur gendre Guillaume.
L'aventure démarre en 2003. Ces passionnés de holstein observent la fragilisation de leur troupeau avec, en particulier, deux à trois retournements de caillette dans l'année. « C'était le résultat d'une sélection holstein visant des animaux anguleux. Étant parmi les premiers de notre secteur à “holsteiniser” notre troupeau, sans doute avons-nous été aussi parmi les premiers à constater les effets surla santé de nos vaches. » Pour Anne et Serge, des animaux anguleux sont synonymes d'états corporels insuffisants et de côtes plates qui ne soutiennent plus l'estomac. Des études américaines ont confirmé depuis leurs observations. Elles montrent que l'angularité est corrélée négativement à l'état d'engraissement.
Le resserrement des parentés holsteins à l'échelle mondiale interroge également le couple. Après avoir pris leurs distances avec le milieu des concours dans les années quatre-vingt dix, ils décident de franchir une nouvelle étape en 2003, en croisant les vaches les plus fragiles de leur troupeau avec les taureaux montbéliards Imposteur, Joyeux, Masolino, Natif JB ou encore Osmium.
DES “F1” AVEC DES TAUREAUX MONTBÉLIARDS
Dans le berceau de la race normande, on aurait pu penser qu'ils l'auraient retenue pour ce premier croisement. « La normande ne nous paraît pas assez solide sur le poste mamelle et moins performante en lait. » Anne et Serge ajoutent une note d'originalité à leur démarche en pratiquant les inséminations de taureaux montbéliards sur seulement une partie du troupeau. L'autre reste holstein. « Alors, en Gaec avec notre gendre depuis deux ans, et sachant que lui et notre fille reprendraient l'exploitation regroupée avec la sienne, nous voulions leur donner la possibilité d'un retour vers le 100 % prim'holstein s'ils le souhaitent. » Cette ligne de conduite est respectée depuis, avec le souci de développer le même objectif en race holstein. Ils choisissent des taureaux holsteins bien placés en index fonctionnels. Ainsi, Enehould, reproducteur des années quatre-vingt-dix, a-t-il largement été utilisé sur cette moitié de troupeau. Il n'améliore pas la taille, mais il est bien placé en index fertilité, longévité et cellules. Plus récemment, Ford, Mascol, O-Man, Altaross, Iota, Bogart ou Ashlar sont inséminés. Les éleveurs ne visent pas la « montbéliardisation » de leur troupeau. Ils veulent s'appuyer sur l'effet hétérosis obtenu via le croisement trois voies pour améliorer les qualités fonctionnelles, tout en maintenant le potentiel laitier de leurs vaches (voir encadré). Dans ce but, de 2006 à 2008, les « F1 » prêtes à inséminer le sont avec des taureaux red holsteins (Elayo-Red, Lichtblick). « Les femelles “F2” dotées d'une robe rouge se vendent plus facilement », estime aussi Serge. Le Gaec prend définitivement le virage du croisement trois voies en optant, en 2008, pour la rouge suédoise sur les « F1 » suivantes en âge d'être inséminées (taureaux utilisés : Peterslund, Hallebo, Gunnarstorp, Foske et Adam). « Cette race est moins angulaire et un peu plus petite que la noire holstein. Elle est aussi plus résistante aux mammites. » Aujourd'hui, le troupeau est composé de 130 vaches et génisses mises à la reproduction. 82 sont des prim'holsteins, 48 des croisées, dont 43 « F1 » et 5 « F2 ». « Quant aux élèves, nous comptons 28 petits veaux et jeunes génisses “F2”. » Quelle race vont-ils choisir pour inséminer les toutes nouvelles « F2 » ? « Qu'elle soit noire ou rouge, ce sera une holstein pour maintenir le potentiel laitier », répond le couple. Les deux en lactation sont inséminées avec un reproducteur red holstein, Jerudo, bien placé en index fonctionnels et peu marqué en angularité.
MEILLEUR RÉUSSITE À LA PREMIÈRE IA
Tous deux jugent les premiers résultats positifs, même s'ils restent prudents, d'autant plus que l'analyse porte surtout sur la génération « F1 ». « La principale amélioration porte sur la fertilité du troupeau. En 2011, son taux de réussite à la première IA est de 60,8 %. Ce succès incombe aux 48 croisées. Leur réussite est supérieure à celui des 82 prim'holsteins : 70,80 % contre 54,9 %. En restant en 100 % prim'holstein, nous serions en dessous des 54 % puisque, rappelons- le, nous avons croisé les vaches les plus fragiles. »
Selon eux, la différence provient surtout des multipares, les génisses croisées ou non ayant un taux de réussite à l'IAP équivalent. « Les premières chaleurs des croisées sont plus rapides avec des signes plus nets. Trois semaines après le vêlage, nous observons des chevauchements. Peut-être sont-elles moins confrontées à des anomalies de cyclicité avec, à la clé, une meilleure réussite à la première IA ? » Une chose est sûre : le bon niveau de fertilité du troupeau, couplé à des comptages sous les 150 000 cellules en moyenne dans l'année, limite la réforme de laitières (11 sur 105 présentes en 2011). La vente de vaches en lait, l'une des activités du Gaec, s'en trouve boostée : 35 noires ou croisées vendues de 2010 à 2012. Les éleveurs ne constatent pas moins de diarrhées ou de problèmes respiratoires chez les veaux « F1 » ou « F2 ». « En revanche, lorsqu'ils sont malades, ils ont plus de punch pour s'en sortir. Ces veaux sont plus vifs, plus débrouillards et ont une vitalité supérieure à lanaissance. Nous l'observons de façon plus marquée pour les “F2”. » Le Gaec a enregistré un taux de mortalité des veaux de 4,1 % l'an passé, contre 11,5 % pour son groupe Ecolait. Les frais vétérinaires de l'élevage, eux, sont équivalents à 15 €/1 000 l. « Nous vaccinons beaucoup, nuancent-ils. Les vaches sont vaccinées pendant leur gestation pour enrichir leur colostrum en anticorps et les petites génisses contre la grippe. »
PLUS DE TAUX, MOINS DE LAIT
Le Gaec a fait un zoom sur les performances laitières des prim'holsteins et des croisées. Sur l'année civile 2010, les premières ont produit 9 172 kg bruts sur 305 jours (contrôle laitier) avec 37,9 de TB et 30,8 de TP. Les croisées ont moins de lait et plus de taux : 8 338 kg, 41,6 de TB et 31,9 de TP. L'écart de 830 kg s'est réduit à 630 kg en 2011 (sans avoir le détail sur les rangs de lactation). Celui sur les taux subsiste. « Là aussi,il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives, estiment Anne et Serge, car la proportion de premières et deuxièmes lactations est plus élevée chez les secondes que chez les premières : 48,6 et 35,1 %, contre 40 et 25,7 %. Or, ces rangs de lactation sont moins productifs que les suivants. » Le croisement trois voies mené sur la moitié du troupeau depuis près de dix ans n'a pas empêché d'augmenter les livraisons. De 520 000 l et 70 vaches en 2000, le Gaec est passé à près de 900 000 l et plus de 100 VL en 2012. De même, de 2009-2010 à 2011- 2012, le niveau d'étable a fait un bond de près de 1 000 kg bruts. « La stabilisation de l'effectif du troupeau et la maîtrise de l'ehrlichiose participent à cette progression, estiment-ils. Nous avons encore beaucoup à découvrir et à explorer sur ce croisement trois voies. Serons-nous satisfaits du gabarit des “F2” ? Le potentiel laitier sera-t-il correctement préservé ? etc. »
CLAIRE HUE
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